samedi 6 mars 2010, par Serge BLOCH
Mais qu’est-ce donc qu’un témoignage fiable ? Même dans l’historiographie, la vérité et le mensonge sont mêlés, parce qu’on peut toujours ajouter au fil rouge de la mémoire officielle quelques fils secrets, sales, des fils noirs. Le noir et le rouge sont à tel point entrelacés que des générations entières perdent leur temps à essayer de les dénouer.
Et nous, que faisons-nous d’autre que d’imposer aux événements le sens qui nous convient, comme si on remplissait une grande boîte vide ?
Benjamin clôt en 1933, un texte intitulé “Expérience et pauvreté” par ces phrases :
“(…) Pauvres, voilà bien ce que nous sommes devenus. Pièce par pièce, nous avons dispersé l’héritage de l’humanité, nous avons dû laisser ce trésor au mont de piété, souvent pour le centième de sa valeur, en échange de la piécette de l’« Actuel » (aujourd’hui, le quotidien). À la porte se tient la crise économique, derrière elle une ombre, la guerre qui s’apprête. Tenir bon. (...)”. Les questions qu’il est indispensable de se poser à l’époque qui est la nôtre, ressemblent tellement aux questions que se posait ce penseur. Par quel mystère quelque chose peut-être à la fois proche et lointain ?
L’époque dont nous “parle”, Benjamin, par ailleurs, lui même étudiant les cultures de masse, doit nous parler intimement. La grave crise des années 1920 et 1930, dont il a souffert, a des points de ressemblance troublants avec notre “Actuel”. La grave crise sociale dont souffre la grande masse des travailleurs, avec ou sans emploi. Les attaques permanentes contre les droits fondamentaux, les remises en cause de l’existence des services publics, les négations des systèmes qui permettent aux peuples de s’instruire, de s’éduquer, de se soigner et même de travailler et de se loger dignement sont inhérentes aux systèmes sournois et vicieux qui font fonctionner les capitalismes. Et après une vie de travaux, le droit de se reposer, d’évoluer, de se maintenir sereinement parmi ses contemporains deviendrait un luxe, uniquement réservé à une minorité de nantis.
Aujourd’hui, dans notre “Actuel”, l’Europe que l’on voudrait nous faire prendre pour une panacée, veut tout détruire sur ses chemins. Nous nous devons d’apprendre à nos enfants nos mémoires ouvrières, nos traditions de luttes des classes et nos volontés de maintenir vivantes nos savoirs, nos transmissions, les acquis de nos pères, avec les volontés qui sont celles des peuples d’Europe, (divers, variés, multiples et identiques), avec nos cultures, nos histoires passées, présentes et à venir et à devenir les sujets historiques et les historiens de ce présent que les possédants cherchent à désarmer.