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UBU-PRÉSIDENT

Paru dans Résistances Communistes n° 127

mercredi 20 novembre 2019, par Serge BLOCH

Afin d’imposer une « réforme » des retraites conforme aux prétentions du capital financier international, le gouvernement Macron-Philippe-Delevoye nous assène depuis qu’il est au pouvoir un certain nombre de contre-vérités. Comme l’ensemble de ses prédécesseurs, ce gouvernement mène une guerre sociale contre les conquêtes de la classe ouvrière, qui reste fermement attachée à ses acquis de civilisation. Il est toujours nécessaire de rappeler le passé afin de continuer à lutter aujourd’hui et ainsi de préparer l’avenir.


UBU-PRÉSIDENT[1]

André Bruckère
Collaborateur du journal « La guerre sociale », André Bruckère, militant syndical de la Gauche socialiste, après avoir écrit plusieurs brochures sur l’assurance sociale et les retraites ouvrières allemandes écrivit, le 27 février 1907, un article titré « Retraites ouvrières : gare à vos poches ! ». Un article resté dans l’histoire du mouvement ouvrier comme étant celui où, pour la première fois, on y lisait la référence restée dans les mémoires sous l’appellation de “Retraite des morts”. Puis il les nomma “Retraite pour les morts”. Enfin, dans un article publié le 9 mai 1911, il rectifia cette périphrase dans le journal L’Humanité : « On a parlé de retraite pour les morts, il eût été plus exact de dire : retraites par les morts. Les retraites des survivants sont faites par les cotisations de ceux (du même âge) qui sont morts avant eux. »

Selon l’historienne Madeleine Rebérioux, seuls 5 % des salariés atteignaient, alors, l’âge légal de la retraite, c’est-à-dire 65 ans. Le projet de généraliser un système de retraites avait été mis en chantier au début du siècle. Il fut soutenu par Jaurès, au nom d’une stratégie réformiste de la politique des petits pas, mais combattu par la CGT et aussi par Jules Guesde. Il sera « définitivement » adopté, sous la forme de la capitalisation, en 1910.
La méthode utilisée, à l’époque, par le gouvernement n’est pas sans nous rappeler celle utilisée par le gouvernement actuel, pour imposer ce contre quoi nous nous battons toujours : Le système dit de capitalisation qui est, toujours selon Bruckère, une escroquerie monumentale.
Il écrit : « Devant l’énormité des chiffres et leur incohérence, le Sénat, pour une fois bien inspiré, a décidé de faire préalablement une enquête auprès des syndicats ouvriers et patronaux.
Il semble assez naturel qu’on prenne l’avis des parties intéressées et compétentes ; mais alors grand émoi parmi les parlementaires socialistes qui avaient pris au sérieux ce projet d’escroquerie à la retraite. Il semble que nos excellents camarades parlementaires aient un penchant naturel à prendre des vessies pour des lanternes.
Demander l’avis des syndicats, quel toupet ! C’est un moyen dilatoire, les parlementaires ont la science infuse et leur compétence s’étend sur toute chose. Ils n’ont d’avis à prendre de personne.
Et nos bons politiciens voudraient faire pression sur les syndicats ouvriers, égarer l’opinion, et faire avaler cette énorme couleuvre qui rempliraient les caisses de l’État bourgeois, en assurant aux prolétaires, dans un délai de trente ans, vingt sous par jour, après leur mort. »

Parallèlement le 22 novembre 1906, le Parlement avait voté en procédure d’urgence et à l’unanimité une augmentation substantielle de l’indemnité parlementaire, passant ainsi de 9000 à 15 000 francs de l’époque.

Cent-douze ans plus tard, un gouvernement se présentant comme étant « progressiste », utilise les mêmes vieilles ficelles que celles, déjà usées, par ses lointains prédécesseurs. Il est vrai que déjà à l’époque un gouvernement de “consensus”, d’unité nationale, de gauche et de droite était aussi en place avec le “socialiste” Millerand et le massacreur de la Commune, le général Galliffet.

En 1909, l’écrivain et satiriste autrichien, Karl Kraus, dans un article intitulé “Le Progrès” résumait le « progrès » en un slogan, un cliché, mais non en un contenu. « C’est un point de vue sur l’ensemble des actions humaines qui donne l’illusion du mouvement » écrivait-il.
Aujourd’hui dans le gouvernement Macron/Philippe on retrouve des “socialistes” comme Castaner, des libéraux et des conservateurs autoproclamés. Rien n’a changé sur l’usage et la méthode utilisée depuis l’époque de la « retraite des morts ».
Dans sa façon même de construire son idéologie, le « progressiste » macronien refuse toute remise en cause, il est par essence dogmatique et totalitaire dans sa pensée du changement social et sociétal. Leur progressisme est l’incarnation nouvelle de la vieille croyance en le progrès, comme force irrésolue et sans alternative. Il est l’ennemi des progrès réels, notamment sociaux, dans l’amélioration des conditions de vie ou la protection de l’environnement. Pire encore, leur “progressisme” dans son idéologie de la confusion est un puissant rouleau compresseur des élites dans leur volonté d’imposer leur vision du progrès et nier les réalités de la lutte des classes. C’est une traduction du Thatchérien TINA, “There is no alternative”, dont toute l’arnaque repose sur le fait de faire croire que les idéologies sont mortes, emportant avec elles le clivage gauche-droite et niant l’asservissement d’une partie de la population mondiale par une autre à des fins de profits.

Madeleine Pelletier (1874-1939)
Le 2 février 1910, le docteur Madeleine Pelletier écrit, toujours dans le journal La guerre sociale :
« Ils espéraient retourner devant les électeurs avec l’appât de cette mirifique réforme et voilà que la classe ouvrière ne veut pas de cette réforme !
C’est vexant !
Aussi faut-il voir les parlementaires et parlementaristes se démener.
Tantôt ils se font suppliants : « Voyons soyez gentils, dit Renaudel, votez la loi ; toutes les améliorations que vous y voudrez, on vous les fera … après les élections ! »
Voyons, dit Sembat, voulez-vous que les ouvriers fassent partie du Conseil de gestion des capitaux ?
Voulez-vous être assurés que même en cas de guerre désastreuse vos capitaux soient respectés ? …voulez-vous … voulez-vous ? »

Mais le congrès fédéral CGT de la Seine, le 30 janvier rejette par 81 voix contre 71, son soutien à la réforme des retraites par capitalisation.
Madeleine Pelletier poursuit dans son article par : « de la tribune de la Chambre, grâce à la grande presse, la voix porte loin, infiniment plus loin que celle qui se fait entendre dans des réunions publiques. Si les députés s’en étaient servis pour dénoncer les iniquités sociales, pour faire le procès de la bourgeoisie, pour évoquer la guerre des classes et les prochaines, on leur eût pardonné bien des choses … »
« Mais pour se maintenir, pour pistonner parents et amis, pour ne pas dire un définitif adieu aux fonctions ministérielles, ils se sont faits les replâtreurs de la société qu’ils étaient chargés de démolir. » (…) Et après des explications amples et bien fournies : « Ce que la classe ouvrière repousse, il est vrai à l’heure actuelle, ce n’est pas le principe des retraites, c’est seulement la capitalisation. (…) Que nos élus se tirent de là comme ils pourront. »

Madeleine Pelletier avait raison. Bien sûr, le parti socialiste de son époque n’est plus celui d’aujourd’hui mais le continuum de leur démarche a mené directement à cette gauche macrono-compatible, contre laquelle nous nous battons en permanence.
Il est tout aussi nécessaire de rappeler que la CGT était favorable à l’idée de retraite et de pension mais que l’âge tardif du bénéfice des pensions était imposé à 65 ans, alors que l’espérance de vie des hommes était de 49 ans et celle des femmes de 52. Et puis, il faut se souvenir qu’en 1912, les cotisations patronales n’étaient déjà plus obligatoires et que contrairement aux allégations du député Marcel Sembat, pendant la guerre de 14-18, les fonds versés par les travailleurs furent engloutis dans la “défense militaire de la nation” et définitivement perdus par les cotisants. Certains ne s’en rendirent compte que 20 ou 30 ans plus tard.
La mise en œuvre de cette loi fut limitée dans le temps. Les oppositions syndicales ralentirent le mouvement d’inscriptions des salariés aux caisses en raison des difficultés des très petits salaires à verser une cotisation. En 1911, la Cour de cassation cassa le caractère obligatoire et la guerre de 1914 advint. Il fallut attendre 1928 puis 1930 pour qu’une nouvelle loi ré-institue des retraites obligatoires, par capitalisation, d’où leur effondrement avec l’inflation et la Seconde Guerre mondiale, mais ceci est une autre histoire…

Aujourd’hui où en est-on ?
Le projet de contre-réforme des retraites est l’une des mesures phares du programme d’Emmanuel Macron aux présidentielles. L’actuel président de la Vème République souhaite « uniformiser » les règles de calcul des pensions, nous le savons et nombreux furent ceux qui l’écrivirent et le dénoncèrent plus d’un siècle après Madeleine Pelletier. Nous en sommes et nous continuerons à dénoncer l’imposture du gouvernement où siège confortablement d’anciens affidés et sectateurs des gouvernements “socialistes” : Marlène Schiappa, Élisabeth Borne, Muriel Pénicaud et Nicole Belloubet ont exercé dans les cabinets ministériels ou des Conseils régionaux socialistes. Mounir Majoubi fut membre du parti socialiste comme Jean-Yves Le Drian et Florence Parly, sans compter l’ineffable Gérard Collomb. Ils furent des membres de gouvernements dits socialistes, sous François Hollande. Ils soutinrent et accompagnèrent les lois iniques mises en place contre les travailleurs des secteurs privés et publics, contre les chômeurs et les retraités. Ils cassèrent, ils cassent et ils n’hésiteront pas à redoubler d’efforts poursuivant la casse des conquêtes ouvrières, celles de 1881, de 1905, de 1936 et de 1945.
Lorsque des officines libérales comme BFM TV annoncent le 21 juin 2017 « Avec le nouveau gouvernement, Macron fait des œillades à la gauche » on comprend tout de suite que la lutte sera âpre et qu’une fois de plus, ces gens qui se prétendent de gauche serviront d’appâts et de leurres. Mais leur sauce mayonnaise n’a pas pris et les Gilets jaunes, suivis des Gilets rouges sont sortis. Ils battent le pavé et sont prêts à poursuivre la lutte pour conserver ce qui a été acquis dans la lutte. Et, contrairement à ce qui est claironné, ce n’est pas un combat d’arrière-garde que de vouloir les conserver, ce n’est pas un combat conservateur que de vouloir en profiter, c’est d’un véritable combat de civilisation qu’il s’agit de pérenniser.
Aujourd’hui, la réforme que veulent imposer les tenants du pouvoir aux affaires de l’État n’est qu’une forme transposée, “modernisée” d’une antienne ressassée depuis plus d’un siècle. C’est en voulant imposer la retraite par points et en faisant disparaître l’ensemble des régimes acquis que le gouvernement ouvre la voie à la capitalisation-privatisation des retraites et pensions, ceci afin d’offrir au capital financier, l’argent des travailleurs et de ce fait de perpétuer son pouvoir. Comme leurs prédécesseurs en 1912, ils tendent à vouloir recréer une retraite des morts revêtue des oripeaux d’une pseudo-modernité.
Alors, bien-sûr, rétorquent-ils, les travailleurs vivent plus longtemps. Mais s’ils vivent plus longtemps, c’est, aussi, parce que la retraite, véritable conquête de civilisation existe et que si elle existe c’est bien grâce aux luttes du mouvement ouvrier.

André Bruckère terminait son article ainsi :
« Contre le système de capitalisation, qui est une escroquerie et recule le paiement des retraites de 30 ans. En faveur du système de répartition, le seul clair qui assure le versement immédiat des salaires. (…)

Source :
HERVE, Gustave et ALMEREYDA, Miguel : La Guerre Sociale. Un journal « contre ».
Textes présentés par VILETTE, Raoul.- Ed. Les nuits rouges, 1999

Notes

[1]
-Père Ubu, mon p’tit chou
Allons, voyons quand cesserez-vous
Ces bourdes cruelles
Et présidentielles ?
Vraiment, on croirait
Qu’vous les fait’ exprès :
Le peuple est mécontent…
-Je l’emmerdre… gouaille
le Président.

Gaston Couté (14 septembre 1910)

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