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On est là, on est là et même si Macron le veut pas…

À paraitre dans Résistances Communistes n° 128

jeudi 12 décembre 2019, par Serge BLOCH

Au cours des manifestations actées du samedi, un couplet est lancé et est repris en cœur par les Gilets jaunes : « On est là, on est là et même si Macron le veut pas, nous on est là », dans une polyphonie sympathique à nos oreilles de révolutionnaires communistes. Il fait suite à de nombreux chants scandés dans l’ensemble des langues de notre planète depuis des lustres et ceci par les travailleurs s’opposant aux diktats, aux ukases et aux édits iniques, promulgués par les forces du pouvoir en place, par leurs approbateurs et par leurs louangeurs.


Les modes opératoires du mouvement des Gilets jaunes, tout en étant novateurs dans leurs formes, au regard des formes prises par les luttes syndicales actuelles, sont issus d’un long cheminement historique qui débute aux prémisses du déclin et de la décadence “d’une certaine aristocratie”, au printemps de 1848. Au cours de l’histoire du mouvement ouvrier, en France, il y eu maintes tentatives plus ou moins avortées de rétablissements de pouvoirs forts et violents : Le coup d’État de celui qui se fit couronner empereur en 1851, (Napoléon III) après avoir été élu président de la République, en 1848 ; celui d’Adolphe Thiers, qui décida les massacres qu’il est convenu d’appeler “La semaine sanglante”, perpétrés par les troupes versaillaises en 1871 ; de ces sinistres cortèges de ces despotes qui décidèrent de ce qui fut désigné sous les terribles périphrases de guerres coloniales, de guerres impérialistes et de guerres mondiales et qui firent des millions de morts au service du grand capital, de ses surgeons et de ses affidés. Et enfin, et ce n’est pas fini, nous les subissons toujours, toujours selon la procédure du coup d’État de 1958, celui que le Canard enchaîné désigna sous l’acronyme de Badingaulle (de Gaulle), faisant référence à Badinguet, surnom octroyé ironiquement à Napoléon 3ème du nom, et de ses successeurs politiques dont l’ineffable Macron. Et même si Macron le veut pas…
La longue et pénible litanie des patronymes présidentiels ayant pour seule ambition de laisser une emprunte mémorielle dans l’Histoire étant fastidieuse et insupportable, je me vois contraint de sauter des épisodes répétitifs.

Flash-back et analepses :

Cette année-là, le printemps commence le 22 février, à Paris. Pour contourner l’interdiction de réunion et d’association imposée par la monarchie de Juillet, les partisans d’une réforme du suffrage censitaire organisent, depuis juillet 1847, une campagne de banquets où les toasts se transforment en discours politiques. Cette lutte doit culminer lors d’un rassemblement à Paris et, bien sûr, celui-ci est interdit. Des émeutes, des barricades, des combats de rue et des fusillades s’ensuivirent. Le pouvoir fait tirer sur les manifestants et de nombreux corps de travailleurs blessés ou morts sont ramassés dans nombre de grandes villes de France.
Karl Marx a analysé dans son livre, « Le 18 brumaire de Louis Bonaparte », cette révolution comme étant l’acte de naissance de l’indépendance du mouvement ouvrier. Marx y a présenté l’insurrection comme « l’événement le plus formidable dans l’histoire des guerres civiles en Europe ». Puis, les acteurs de la Révolution de février 1848 se sont divisés en deux camps, celui de la bourgeoisie, qui s’est retrouvée satisfaite de la mise en place de la République telle qu’elle est alors, représentée par le futur Napoléon le Petit (dixit Victor Hugo) et les ouvriers qui n’ont vraiment pas oublié les mots d’ordre de « République sociale ». Et, c’est logiquement qu’on les retrouve en juin pour la défendre encore et toujours. Karl Marx écrivit aussi, toujours dans “Le 18 brumaire de Louis Bonaparte”, livre écrit en 1852, qu’au 22 juin « les ouvriers n’avaient plus le choix, il leur fallait mourir de faim ou engager le combat. »
Enfin, le 26 juin ce fut la fin de cet épisode avec la chute de la dernière barricade, située faubourg Saint-Antoine. Ces journées révolutionnaires firent environ 4000 morts du côté des barricadiers et 4000 prisonniers furent déportés en Algérie.

Mais peu de temps après, en 1851, celui qui voulait se faire couronner Empereur, celui qui avait pris le pouvoir présidentiel en 1848, Louis-Napoléon Bonaparte, a, de nouveau, une fois de plus, obligé les travailleurs à sortir aux côtés des Républicains bourgeois pour manifester et ériger de nouvelles barricades. Un député est resté célèbre jusqu’à la 2ème guerre mondiale. Il fut honoré dans les manuels scolaires des écoles de la République, accompagné d’un texte de Victor Hugo*. Le député Alphonse Baudin mourut sur une barricade, le 3 décembre 1851. Non seulement il s’opposait au couronnement mais aussi aux paiements d’une indemnité législative de 25 francs par jour, indemnité très impopulaire. Victor Schoelcher qui se trouvait à ses côtés au moment où une balle l’atteignit, prétendit qu’au cours de son agonie il annonça « Vous allez voir comment on meurt pour 25 francs ». Louis-Napoléon Bonaparte se fit allouer une rente annuelle de 600 000 francs. Les ouvriers, eux, n’étaient pas en mesure de dépasser les 2000 francs.
Selon Monsieur Trébuchet, chef de bureau de la “salubrité” civile à la préfecture de police, il y aurait eu officiellement 153 morts. Selon le journal Le Moniteur, le nombre serait de 380. Cette arithmétique morbide les fait s’additionner aux 800 morts des « trois glorieuses » de la Deuxième République et aux 20 000 morts assassinés sous la Commune !

Notre camarade, l’historien Jean-Marc Schiappa, dans un article récent, écrit : « C’est en 1848 qu’il faut faire commencer notre histoire. Parce que 1848 voit le Printemps des Peuples, la fondation des premiers cercles de Libre Pensée organisée et la diffusion, simultanée du “Manifeste du Parti Communiste”. (…) Mais qui porte les revendications démocratiques ? Une des leçons de 1848 est que les revendications démocratiques les plus simples sont abandonnées par la bourgeoisie. La contre-révolution monarchique, féodale et grande bourgeoise allemande agit comme la contre-révolution qui écrase les ouvriers en France. (…) Poursuivant sa démonstration ainsi : « C’est en analysant ces événements (dont ils avaient été acteurs) que Marx et ses amis politiques élaborent la théorie de “la révolution permanente”. »(…) et par cette citation des écrits de Marx : (…) « Les ouvriers allemands […] contribueront eux-mêmes à leur victoire définitive bien plus par le fait qu’ils prendront conscience de leurs intérêts de classe, se poseront dès que possible en parti indépendant et ne se laisseront pas un instant détourner par les phrases hypocrites des petits bourgeois démocratiques de l’organisation autonome du parti du prolétariat. Leur cri de guerre doit être : La révolution en permanence. »

La révolution ne sera pas autorisée :

Comme il est, entre autre, de tradition lors de chaque mouvement ouvrier, d’élaborer un certain nombre de slogans qui font mouches et par-là même qui touchent des points sensibles, le pouvoir n’est pas en mesure d’arrêter l’intelligence et la subtilité et en cela, aussi, le mouvement des Gilets jaunes ne fait pas exception à la règle. Un certain nombre d’affiches, de panonceaux, de banderoles nous le prouve en permanence, lors des actes du samedi et ceci depuis les origines du mouvement, en voici un petit florilège : « La révolution ne sera pas autorisée » ; « Nous sommes le bug dans la start-up nation » ; « Tout le pouvoir aux ronds-points » ; « Violence gratuite contre le monde payant » ; « Sur la place abandonnée, matraquages et crânes brisés » ; « Le pire est avenir » ; « Les idées sont à l’épreuve des balles de défense » ; « Notre-Dame a brûlé, Les Misérables sont en feu » ; « Macron, saigneur de France » ; « 8000 arrestations n’arrêtent pas la rébellion » ; « Macron, président de la République benallananière ». Cette liste n’est, bien sûr, pas exhaustive et comme il était dit en mai 68 quand les manifestants veulent mettre l’“Imagination au pouvoir” on ne les arrête pas avec des tirs tendus de LBD. Devant un tel foisonnement d’imagination constructive, devant un tel bouillonnement de culture politique on ne peut que rester admiratif et le gouvernement est couillon-pantois, comme l’écrivait Rabelais dans son Tiers livre.
Mais, le mouvement des Gilets jaunes comme l’écrit très justement l’académicienne Danièle Sallenave, dans un pamphlet* daté d’avril 2019, c’est aussi : « Il y a ce que disent les Gilets jaunes. Il y a surtout ce qu’ils révèlent. Cette manière de parler d’eux, dans la presse, les médias, les milieux politiques, sur les réseaux sociaux !
Une distance, une condescendance, un mépris »

P.-S.

*Sources :

GARIGOU, Alain.- Le printemps des peuples. Le Monde diplomatique, mai 2011.

GARIGOU, Alain.- Mourir pour des idées. Ed. les Belles lettres, Paris-2010.

CORBIN, Alain.- La barricade. Publication de la Sorbonne, Paris-1997.

MARX, Karl.- Le 18 brumaire de Louis Bonaparte (1852). Ed. Gallimard, Paris-2007. Coll. La pléiade.

SALLENAVE, Danièle.- Jojo, le gilet jaune. Ed. Gallimard, Paris-2019. Coll. Tracts.

COLLECTIF.-Petite histoire de la Première Internationale (AIT). À la rencontre de Karl Marx et Michel Bakounine. Ed. Théolib, 2019. Coll. Résistances.

DUFRESNE, David.- Dernière sommation. Ed. Grasset, Paris-2019.


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